Katrina • Le docteur Geert Van Moorter (Médecine pour le Tiers Monde), depuis La Nouvelle-Orléans - 23-11-2005

Publié le par Dji-C

Le docteur Geert Van Moorter (Médecine pour le Tiers Monde), depuis La Nouvelle-Orléans

 

«Les secours venus d'en bas, voilà qui réconforte!»

Quelle ironie... Médecine pour le Tiers Monde a délégué une mission dans le pays le plus riche du «premier» monde, les États-Unis. Le docteur Geert Van Moorter nous apporte son témoignage.


Bert De Belder
23-11-2005

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Noah (à gauche), un ambulancier qui s'était engagé comme volontaire à La Nouvelle-Orléans, a raconté au docteur Geert Van Moorter (Médecine pour le Tiers Monde): «Ici, des Gardes nationaux blancs ont abattu des noirs. Moi-même, j'ai vu quatre de leurs corps.» (Photo Intal)

Au début, les secours se sont fait attendre. C'est mieux, maintenant?

Geert Van Moorter. Douze semaines après Katrina, il n'y a toujours pas assez d'accueil. Et on gaspille beaucoup d'argent. Un exemple. Pat Fletcher, un Blanc de l'Ohio, s'est rendu à La Nouvelle-Orléans en tant que volontaire de la Croix-Rouge. Il n'a reçu que six heures de formation! Il ne savait même pas où se rendre ni que faire. On lui a donné une carte de crédit de 900 dollars pour 3 semaines, alors que son billet d'avion et son hébergement étaient déjà payés. Pourquoi, avec cet argent, ne pas engager à la place des victimes de Katrina sans travail?

Vous avez travaillé à la Common Ground Health Clinic. Qu'est-ce?

Geert Van Moorter.
Cette clinique, un dispensaire de quartier, est une initiative de Malik Rahim, un ancien Black Panther1, et de quatre travailleurs médicaux de première ligne. La clinique est située à Algiers, un quartier de La Nouvelle-Orléans qui n'a pas été inondé. Sur le mur extérieur, on peut lire le slogan: «Solidarité et non charité». Elle fonctionne avec des bénévoles venus de partout. Les soins de santé y sont gratuits. La Nouvelle-Orléans manque toujours cruellement de médecins et, quand il y en a, bien des gens ne peuvent même pas se payer une consultation. Cuba a proposé 1500 médecins aux États-Unis, mais Washington n'a même pas répondu. Pourtant, ils seraient bien utiles.

La clinique répond vraiment à un besoin. Presque tout le monde en ville vit dans le stress et l'incertitude. Cela rend les gens malades: hypertension, troubles du sommeil, angoisses, etc. De nombreux malades chroniques sont déboussolés parce que stressés et sans médicaments. Ils présentent des surcroîts de symptômes et risquent donc une mort prématurée. La clinique leur remet des médicaments ou une ordonnance. Nous écoutions les histoire des gens, leur apportions l'attention nécessaire et un soutien psychosocial, comme nous le faisions en Irak.

Sur un autre plan aussi, vous avez retrouvé vos expériences irakiennes2


Geert Van Moorter. Nous logions dans un camp de tentes (de luxe, les tentes, avec toutes sortes d'équipements) installé par une firme privée pour l'armée, la police, la Croix-Rouge et les firmes d'assistance et payé par la FEMA (Agence fédérale de lutte contre les catastrophes). Ce camp est gardé par des soldats qui ont fait la guerre en Irak. On les a engagés ici pour veiller sur leur propre population et sur moi (il rit, puis redevient sérieux). Ça m'a remis en tête quelques situations embarrassantes en Irak. Il fallait s'y faire, dans la tente réfectoire, en compagnie de ces militaires qui posaient leurs armes contre le bord de la table, tout comme je les avais vus faire à Bagdad, dans les hôpitaux. À La Nouvelle-Orléans, les soldats ont d'abord été engagés pour protéger les magasins privés. Leur mission était de «tirer pour tuer» sur les prétendus pillards.

Il n'y a pas eu de pillages?

Geert Van Moorter. Début septembre, la presse a décrit les Blancs partis en quête de nourriture comme des «survivants», mais les Noirs qui faisaient pareil étaient catalogués de «pillards», alors qu'ils partageaient leur maigre butin avec d'autres survivants affamés et déshydratés. Les premiers jours qui ont suivi Katrina, la plupart des survivants ont été sauvés par de simples gens. En trente heures, quatre jeunes ont sauvé quelque 300 personnes. D'abord avec un matelas gonflable, plus tard à l'aide d'un bateau qu'ils avaient trouvé. Par la suite, l'un d'eux a dit, cyniquement: «Ils vont sans doute nous accuser de vol parce que nous avons utilisé ce bateau. Mais nous avons fait ce que nous devions faire!»

Le racisme à l'égard des Noirs est très réel, aux états-Unis?


Geert Van Moorter. Le premier cas m'a été raconté par Noah, un ambulancier de 22 ans, volontaire à la Common Ground Health Clinic. «Ici, des gardes nationaux blancs ont abattu des Noirs. Moi-même, j'ai vu quatre corps. Quand je suis arrivé ici, seul l'hôpital Jefferson était ouvert. Pas un habitant du quartier d'Algiers ne pouvait s'y rendre, les militaires les renvoyaient. Cet hôpital est situé dans un quartier riche, à majorité blanche, et ils ne voulaient pas admettre les Noirs.»

Comment se déroule la vie en ville, aujourd'hui, à La Nouvelle-Orléans?

Geert Van Moorter. En beaucoup d'endroits, on voit encore des tas d'immondices. Dans les quartiers les plus touchés, il n'y a pas d'eau, d'électricité ni d'autres équipements et l'on cherche toujours des corps. Plusieurs centaines de milliers de personnes logent toujours dans des hôtels, quelques dizaines de milliers dans des centres d'accueil, sur un lit de camp, sans la moindre possibilité d'intimité.

Dans le 9th Ward, le quartier le plus touché, règnent un silence inquiétant et une puanteur infernale. La plupart des maisons sont complètement détruites. Un quartier sans vie, sans habitants. Un toit au beau milieu de la rue, des planches distordues, des voitures retournées, débris de mobilier, jouets, vélos, matelas, chaises, frigos tout cela éparpillé partout.

Où en est la reconstruction de la ville?

Geert Van Moorter. La communauté locale n'y est pas impliquée. L'une des premières idées a été la construction d'un nouveau casino afin de stimuler l'économie et le tourisme! Il était question de faire du 9th Ward ­ qui compte surtout une population pauvre et noire ­ un terrain industriel. Mais ce qui va de soi, c'est la reconstruction du quartier de Lakeview, plus riche et à majorité blanche.

Pour les firmes Halliburton, Bechtel et Blackwater (sécurité), il y a de la grosse galette à palper, aujourd'hui, à La Nouvelle-Orléans. Oui, ce sont les mêmes firmes qui ont raflé les gros contrats en Irak! Nombre de magouilleurs de l'immobilier tentent de tirer parti de la situation afin de chasser les locataires pauvres, de rénover leurs logements et de les louer ensuite plus cher. Car, vu le manque de logements, les loyers grimpent en flèche. Le rêve américain n'est pas réservé à tous

En Louisiane, j'ai également vu une autre Amérique, celle qui s'oppose à la politique actuelle. Ici, il se passe des tas de choses positives, à la base. Katrina a fait ressortir ce qu'il y avait de meilleur chez bien des gens. Et souvent aussi, cette action directe est plus efficace que ce que remuent les organisations de l'État et les firmes privées. Et ça, c'est encourageant.



Source : http://www.solidaire.org

1 Organisation militante noire de conscientisation et de lutte des années 60 et 70 aux états-Unis ·
2 En 2003 et 2004, le dr Geert Van Moorter est allé plusieurs fois en mission de Madecine pourle tiers monde en Irak, en pleine guerre et pendant l'occupation.

Publié dans freedom2k7

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